L’orchestre comme horizon illimité

Edith Canat de Chizy entrevoit l’orchestre comme un horizon illimité

LE MONDE pour Le Monde.fr | 06.04.2011 à 16h01

Maurice Ohana, son mentor, en avait eu le pressentiment. Edith Canat de Chizy devait siéger à l’Institut de France. Elle fut donc, en 2005, la première femme compositeur à entrer à l’Académie des beaux-arts, où seule Jeanne Moreau l’avait précédée en tant que représentante du beau sexe.

Quel intérêt y a-t-elle trouvée ? « Celui de développer des échanges avec des artistes autres que musiciens », confie la benjamine des éminences réunies sous la Coupole. Dans la droite ligne d’une démarche créatrice qui l’a toujours conduite à puiser son inspiration dans la poésie ou la peinture.

Pierre d’éclair, entendue à Lyon le 2 avril, emprunte ainsi son titre à René Char, dont Edith Canat de Chizy fait sien le questionnement majeur : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? ». A 56 ans, elle a déjà livré un bon nombre de partitions issues de cette interrogation fertile sans jamais verser dans une écriture illustrative.

« Je me garde bien d’avoir des intentions figuralistes et je cultive l’imaginaire né de la rencontre entre les arts en laissant l’auditeur libre de son écoute », confirme l’auteur d’un concerto pour alto, Les Rayons du jour, inspiré de la palette de Nicolas de Staël ou d’une pièce d’orchestre, De noche, mise en relation avec un poème de Jean de la Croix.

Les étiquettes de « mysticisme » ou de « spiritualité » ont donc beaucoup servi pour labelliser la musique d’Edith Canat de Chizy. Beaucoup trop à son sens. Sans parler de la notion de sacré, qu’elle ne revendique que sous sa forme la plus large. « Le sacré, c’est ce qui nous dépasse« , assure-t-elle en renvoyant à la « définition du dictionnaire ».

ACADÉMICIENNE NULLEMENT ACADÉMIQUE

Cette sensation compte indéniablement parmi les effets produits sur l’auditeur par la musique d’une académicienne nullement académique. Ni rétrograde, ni progressiste, le langage d’Edith de Canat de Chizy tend à faire parler la matière dans une dimension inédite. Chacune de ses œuvres d’importance s’apparente à un parcours de la Création. Un univers prend forme dans les sons.

Pierre d’éclair débute par un foudroyant glissando de tam-tam, bruit irradiant que prolongent les cordes par ricochets brouillés. La dualité de l’œuvre – résumée par son titre – est caractéristique du style d’Edith Canat de Chizy, qui a une façon de s’imposer (ici, de s’abattre) et de se retirer (plus loin, de se répandre) à nulle autre pareille. L’auditeur doit à la fois lever les yeux –comme pour voir ce qui le dépasse- et tendre l’oreille, pour saisir l’indistinct qui l’attire. La « fulgurance et l’immobilité », à la base de la présente expression poétique, sont renouvelées avec soin mais les séquences de transition entre ces deux pôles sont aussi dosées avec efficacité.

Pierre d’éclair apparaît sans conteste comme la plus belle pièce pour grand orchestre écrite à ce jour par Edith Canat de Chizy, les autres étant réunies sur un CD que vient de publier le label Aeon. L’effectif symphonique se présente assurément au compositeur, selon ses propres termes, « comme l’horizon illimité » dont René Char prône la nécessité pour tout artiste. Aboutissement d’un an de résidence à l’Orchestre national de Lyon, Pierre d’éclair témoigne aussi du rayonnement des musiciens placés sous la baguette d’Ilan Volkov.

Pierre Gervasoni


Pierre d’éclair (création) par l’Orchestre national de Lyon, Ilan Volkov (direction)