MUSIQUE D’ORCHESTRE
Lands Away (1999)
03/12/1999 – Toulouse – Gaston Sylvestre (cymbalum) – Orchestre de chambre de Toulouse – Alain Moglia (direction)
Instrumentation : Cymbalum et orchestre à cordes
Nomenclature : 4.3.2.2.1
Durée : 15′
Editeur : Henry Lemoine
Cette pièce est un hommage à Emily Dickinson, jeune poétesse américaine du XIXe siècle. Le titre, Lands away (terres lointaines) est issu de ce poème : « There is no Frigate like a Book to Take us Lands away ». Une similitude de démarche me rapproche d’Emily Dickinson.
Tout d’abord, par rapport à la création. « Postée à la frontière de la vie et de la mort », comme l’énonce un de ses critiques, la création est pour elle le moyen d’appréhender ce qui nous dépasse. Elle est un de ces guetteurs de l’incommensurable, j’allais dire un guetteur de l’inouï. A dix-huit ans, elle choisit une vie de recluse dans la maison de ses parents et décide de se consacrer exclusivement à la poésie qu’elle considère comme la seule force capable de nous emmener en « terre lointaine ». Aussi, son art est-il un service. La plupart de ses poèmes étaient envoyés comme lettre à diverses personnes. De son vivant, elle s’est opposée à la publication de son oeuvre. Sa soeur a heureusement passé outre cette volonté après sa mort.
Chez Emily Dickinson, l’imaginaire règne en maître, et c’est le deuxième point qui me rapproche d’elle. Un imaginaire utilisé comme puissance de création et comme agent structurel. Je dirai à ce propos que l’imaginaire ainsi considéré est le troisième terme qui dépasse la dialectique subjectif-objectif dans l’oeuvre d’art. Il est à l’état brut dans la poésie d’Emily Dickinson. Son écriture est essentiellement sonore. Dépouillée, elliptique, étonnamment moderne, elle a une extraordinaire force de suggestion. Ses phrases sont ponctuées de majuscules, comme autant d’accents rythmant ou dérythmant la prosodie, suivant le sens mystérieux du poème.
La formation cordes-cymbalum m’a paru toute indiquée pour prolonger cet univers, essentiellement en recherchant l’abondance d’images sonores non déformées par les philtres structurels. Mes esquisses de départ sont d’ailleurs graphiques, pour garder l’énergie de l’impulsion première. J’ai ainsi tenté une écriture basée sur des similitudes de modes de jeu, sur l’idée d’échos, de murmures, de plages hors-temps évoluant sur divers mouvements métronomiques. La pièce, traversée d’ostinatos, va de trames immobiles en vagues violentes pour s’achever sur le cymbalum seul. Aidée par le génie inventif de Gaston Sylvestre, j’ai pu jouer avec la diversité des baguettes, les jeux avec archet, « bottle-neck », batte de triangle ou mailloche de tam-tam. Cette richesse sonore du cymbalum génère une infinité de timbres et de résonances dans sa combinaison avec les cordes. Une alchimie tour à tour diffuse et acérée, brillante et impalpable.
Edith Canat de Chizy